11 mars 2006


C'est en 1915, au fin fond de la campagne jamaïcaine, qu'est né Arthur Reid.
A cette époque, la Jamaïque est encore une colonnie britannique et la traite des esclaves n'est pas si loin. Les jeunes générations ont encore en mémoire les récits de leurs grands parents ; des histoires sordides qui contribueront néanmoins à la création de l'identité jamaïcaine, de sa culture.
1915, c'est aussi la période de la montée en puissance de la conscience Black dans tout le "nouveau monde". Harlem, le quartier black de New York, connait une émulation incroyable ; en Jamaïque, Marcus Garvey vient de créer l'UNIA et ceux qui deviendront plus tard les premiers rastas sont également entrain de découvrir cette vibe au cours de leurs voyages en amérique du nord et centrale, souvent en tant que soldats de l'armée colonniale.
Le jeune Arthur, est bien loin de toutes ces préoccupations, mais comme des milliers de ses compatriotes il et quitte sa région natale avec sa famille pour se rendre dans la capitale Kingston, où depuis quelques temps s'installent de plus en plus de gens des classes populaires en quète d'une nouvelle vie, de plus de confort ...
Depuis le début du siècle, Kingston est devenue une ville chaude, au climat social plus qu'étouffant. La misère, que certains fuyaient, persiste et se creuse même pour ceux qui sont confrontés à la survie, à la rue. µ
Puis, il faut bien dire que tous ces gens ont beau venir à Kingston, il n'y a rien de spécial à faire pour eux ! A part pour les quelques courageux qui vont travailler sur le port.
C'est à cette époque et dans ces conditions qu'Arthur Reid rencontre ceux qui deviendront quelques années plus tard des Top Rankings (bad boys) notoires, mais aussi ses proches les plus fidèles : Dapper Dan, Buggy an' Horse, Sam Jeggy, George Moore ...
Malgré ses fréquentations, c'est curieusement vers la police qu'Arthur se dirige il s'applique parallèlement à devenir un champion émérite de tir, arrivant même au stade de tireur d'élite. Cette passion ne le quittera jamais, cela fait partie intégrante de sa personnalité.
Arthur est làs de son métier de policier, puis, avec sa femme Lucille, ils ont pu économiser un peu et décident alors d'acquérir une petite boutique d'alcool au croisement de Bond Street et de Charles Street. Ils l'appellent TREASURE ISLE.
En ce milieu du XX ème siécle la musique jamaïcaine à proprement parler n'existe pas. Il subsiste bien entendu des survivances des musiques africaines et également d'autres styles populaires comme le mento ou la merengue, directement inspirés des musiques colonniales. Mais ce qu'apprécient particulièrement les jeunes de l'époque : c'est le RnB, le Boogie Woogie ... toutes ses musiques blacks dont ils captent les ondes sur les radios américaines comme la WLAC de Miami ou encore la WNOE de la Nouvelle Orléans.
les Jamaïcains étaient surtout habitués à entendre la musique provenant de groupes Live qui reprenaient la plupart du temps des standards de Swing ou de Mento. Mais dès l'apparition des premières émissions de RnB, les plus accros ont cherché par tous les moyens à se procurer des disques.ils ne sont encore que quelques privilégiés à posséder une platine ou un Juke box, souvent ramenés par un oncle ou un frère installé aux States ; mais très vite c'est dans la rue que les quelques afficionados expérimentent leurs nouvelles trouvailles, aux yeux et aux oreilles de tout le ghetto, qui très rapidement s'enflamme pour ce nouveau style. Le sound system est né.
Le DUKE fait partie de ces derniers ! Sûrement pas le premier, mais quoiqu'il en soit il installe sa première sono dans la boutique de liqueurs, s'inspirant du plus important sound de l'époque, le fondation sound : TOM & THE GREAT SEBASTIAN, avec à sa tête, Duke Vin et Count machuki.
DUKE REID est également un des premiers à avoir une émission de radio consacré au RnB : «Treasure Isle Time». Il y passe ses trouvailles rapportées des Etats Unis et ces
favoris sont les artistes Jazz . Petit à petit, au cours de ses voyages, il complète sa collection et monte ce qui deviendra son sound system en 1954. Ce sont ses spectateurs qui lui donneront son surnom : THE TROJAN (le forçat), le voyant parcourir la Jamaïque avec son petit camion chargé de disques et de matériel sono.
A l'époque de nombreux autres sounds system émergent de chaque quartier, un peu partout : Le Junior Sebastian de Charles Street, Doc's The Thunderstorm de Trenchtown, le Coxsone Downbeat, le King Edwards ... chacun surencherissant continuellement afin d'être maître en son quartier.
Mais le TROJAN, plus agé que la plupart d'entre eux est en phase de devenir le plus important de l'époque. Non seulement par ses disques souvent introuvables, mais aussi par le fait que son sound est en mesure de jouer à plusieurs endroits en même temps (plusieurs sonos, disques en quadruple), et surtout parce qu'il entretient une réputation de Bad boy, armé jusqu'au dents et entouré d'une clique de lascards invétérés
n'hésitant pas à aller boycotter le moindre petit sound concurrent. Il ne fallait pas faire de tord au duc, ou alors, il fallait être rude ! De nombreuses anecdotes concernant cet aspect du Duke et de son crew circule encore; tous les artistes, musiciens, producteurs le confirment ; et certains comme Count Buckram qui avait un simple Juke Box, mais des disques à faire pâlir le duc, s'en sont souvenu longtemps.
En 1956, le Trojan Sound est à son apogée et détrône le Tom The Great Sebastian en remportant le prestigieux titre de KING OF SOUNDS & BLUES qu'il conserve jusqu'en 1959.
Il commençait vraiment à être de plus en plus dur de jouer des disques de RnB originaux. Aussi, en 1957, Reid et Coxsone commençent à enregistrer leurs propres productions, destinées au sound system. Le premier disque que REID enregistré est un titre Mento : « Penny Reel » de Lord Power.
Depuis le début des années 50, Ken Khouri avait monté son petit studio au 129 Kingston Street : le studio FEDERAL, sans savoir que quelques années plus tard, tous les producteurs de l'île passeront par là.
Le premier disque jamaïcain de Rythm & Blues sorti de Federal et ayant été joué en sound system est le «Till The End Of Time» de Bunny et Skully (Noel "Skully" Sims) ; encore que ... selon Coxsone se soit son «Shuffling Jug» de Clue J et les Blues Blaster, qui mérite ce titre. Quoiqu'il en soit, le premier morceau qà connaitre un véritable succès commercial grâce aux sounds est le «Silent Dreams» des mêmes Bunny & Skully. A cette époque les disques sont encore pressés en 78 Trs.
1959 est une année vraiment particulière et marque un tournant considérable dans le développement de la musique jamaïcaine. En fait, c'est l'année de l'apparition des 45 tours, prévus en tirages plus importants pour le grand public. De nombreux sounds voient alors le jour et il devient alors de plus en plus difficile de se démarquer.
A la même époque, les productions américaines sont en déclin et reflettent moins les aspirations du peuple jamaïcain ; mais la demande de nouveautés est constante dans le public yardie. Chaque soundman se demande comment il va pouvoir détrôner l'autre, comment avoir des disques plus originaux ?
L'arrivée des 45 Trs a l'effet d'une bombe. Il était plus facile de presser ses propres disques. Chacun créait alors son ou ses labels. Duke Reid n'en créa que 3 : DUTCHESS, TROJAN et TREASURE ISLE, contrairement à son rival Cosxone qui en avait tout un tas (Worldisc, Cariboo, Coxsone, Sensational and Muzik City, D. Darling, Rolando & Powie, Wincox, C&N et ND).
En fait, si nous voulons être exact dans la chronologie, il faut tout de même rajouter que DUKE REID, vexé par la flamboyante victoire de KING EDWARDS et après une dispute avec la duchesse Lucille, décide en 1960 de faire un break ; il a 45 ans.
L'homme qui va malgré lui le décider à revenir sur le devant en boulversant tout le petit monde des sounds n'est autre que PRINCE BUSTER qui vient de créer simultanément en 1960 son sound, son label et sa boutique de disque : Voice Of The People. N'ayant pas assez d'argent pour se procurer des disques et rentrer en concurrence directe avec les BIG THREE, l'ancien chef de gang de Luke Lane, décide d'enregistrer ses propres productions (financé par Duke Reid) sur lesquels il se mettra en avant ainsi que des chanteurs comme Derrick Morgan qui avait déjà connu quelques succès avec des titres Boogie woogie comme le «Fat Man» (label Hi Lite). Ce genre de chanteur, dont aussi Alton Ellis, puis Delroy Wilson apportaient quelque chose de vraiment différent par rapport aux chansons habituelles : l'âme, la Soul. Il n'était alors pas surprenant de les voir enregistrer pour tous les producteurs de l'époque.
1962 (année de l'indépendance), l'émulsion, la vibe, tous ces gens : artistes, musiciens, soundmen ... ont porté la musique jamaïcaine jusqu'à ses prémices. Il ne restait plus qu'à concrétiser, c'est ce que firent, sans même le vouloir réellement, Jah Jerry, Lester Sterling et Stanley Ribbs, en inventant le rythme ska lors d'une répétition, un an même avant que celui n'émerge des studios. Et c'est là qu'en 1962 PRINCE BUSTER fait très fort en osant sortir ce nouveau son sur son « Madness is Gladness ». La première musique populaire jamaïcaine était née : le SKA ! Tout le monde allait suivre.

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