
Début des années 50, Jamaïque : 95 % des jamaïcains ont du sang africain. L'île, située en dessous de Cuba, a pour capitale Kingston et dépend de l'Angleterre. La vie y est rude, les Noirs n'ont pas le droit de vote, la violence n'est pas rare et la religion est très présente. Les émeutes sont une plaie chronique, et seuls les bakras, riches blancs implantés en Jamaïque, ont une vie plus aisée.

Musicalement, plusieurs îles des Antilles font danser le peuple sur différents rythmes : le merengue dominicain, le kompa haïtien, le calypso de Trinidad très en vogue, le son cubain, le zouk guadeloupéen… Le folklore local, le mento jamaïcain, quant à lui, est composé d'influences européennes, bantoues et ouest-africaines. Le rythme 4/4 est doux, alors que le calypso est plus rythmé avec son temps 2/2, et est surtout traditionnellement joué pour les touristes. Les musiciens locaux jouent aussi du slack, des chansons paillardes qui font rire le public pour oublier la dure vie.

Ceux qui possèdent une radio peuvent capter les ondes de Wins, la radio américaine de Miami, la seule qui parvienne en Jamaïque; ils peuvent y écouter principalement du Rhythm'n'Blues (ou R&B) et du jazz; ces musiques ont déjà déferlé sur l'île avec les disques qu'ont amenés les soldats américains basés à Kingston durant la Seconde Guerre mondiale.
Les jazzmen noirs américains ont alors représenté une lueur d'espoir pour les jamaïcains des ghettos qui se sont mis à jouer tous les soirs, en plein air dans les parcs de Kingston, les chansons qu'ils essayaient de reproduire, mêlées inévitablement aux rythmes qu'ils savaient déjà jouer (mento, calypso, merengue…). Un son nouveau se crée, avec une basse plus puissante et un rythme de guitare syncopé et plus rapide, comme un avant-goût du ska : le shuffle.En 1950, le 45 tours vinyle et les sonos apparaissent, faisant naître des sound systems un peu partout dans lesquels on peut danser à bas prix. La concurrence devient sauvage : les selecters sont obligés d'enlever les étiquettes de leurs disques pour être les seuls à les posséder. Une année plus tard, Stanley Motta réalise les premiers enregistrements pour concurrencer le calypso, mais l'île attend un nouveau son, plus branché et plus dansant que le R&B américain.

Heureusement, la déferlante rock n' roll s'abat sur l'île avec notamment les Fats Dominos et Little Richard ; ce nouveau style mêlé au boogie-woogie, au gospel, très présent dans l'île, au mento local, au jazz, au scat, au calypso, au merengue, aux musiques africaine et cubaine ainsi qu'à la culture de la rue formera un coktail détonnant qui, en explosant, donne naissance au son que tous les jamaïcains attendaient : le ska. Le succès est là : les sounds systems se multiplient dans l'île, les gens se pressent pour venir danser sur ce rythme endiablé.

En 1955, Duke Vin crée le premier sound system jamaïcain à Londres, où les émigrés affluent à la recherche de travail. En 1959, Chris Blackwell enregistre des dub plates qu'il teste dans les sounds, puis fait presser ceux qui ont été des succès. Les juke-boxes se répandent prêchant partout la bonne musique. C'est la naissance de l'industrie musicale jamaïcaine. En 40 ans, l'île produira plus de 100000 disques, avec parfois plus de 200 singles par semaine ! La musique étant le meilleur moyen pour se sortir de la misère, il faut produire, toujours produire, car les enregistrements ne sont pas chers payés et les producteurs très gourmands quand il s'agit d'ouvrir le tiroir-caisse. Il faut donc jouer le plus possible pour gagner sa vie, d'où cette extraordinaire production.
Aux États-Unis, les Noirs obtiennent le droit de vote en 1960, ce qui n'empêche pas aux tensions de s'intensifier car ce droit n'est pas partout respecté

Au fil du temps, la syncope du boogie basé sur le contretemps s'accentue au point de devenir le temps fort du rythme. Le ska se dégage peu à peu des différents styles, caractérisé par ce rythme syncopé marqué par un temps fort sur les deuxième et quatrième mesures. Le jeu de guitare correspond au contretemps du R&B et au piano du boogie. Les cuivres sont ajoutés pour les solos de jazz, ainsi qu'une contrebasse très en avant, comme pour le merengue, le calypso et le mento. Souvent, les morceaux joués sont des instrumentaux, frénétiques et soutenus. En 1960, le ska se distingue et devient un genre à part entière. Aussi, certains affirment que le mot « ska » est né du son que produit la façon sèche de plaquer des accords sur la guitare.

Prince Buster, décidant de se démarquer des sounds spécialisés dans le R&B, préfère accentuer l'identité purement jamaïcaine de sa musique, tout comme Coxsone. En 1961, les succès, les sounds et les producteurs se multiplient, beaucoup se délocalisent en Angleterre. Une année plus tard, Chris Blackwell a l'idée d'y distribuer des disques, où les émigrés peuvent se permettre d'en acheter.
1962 est aussi l'année de l'indépendance de la Jamaïque liée jusqu'à présent à l'Angleterre.
C'est l'indépendance non seulement territoriale, mais aussi musicale, car le ska incarne maintenant l'identité de la nouvelle nation qui ne cesse de danser au rythme des cuivres, l'espoir et l'optimisme sont retrouvés. Coxsone construit un studio d'enregistrement indépendant qui deviendra le mythique Studio One. De 1962 à 1967, la marque anglaise Blue Beat d'Emile Shalett publie 600 45 tours produits en Jamaïque par Prince Buster : le ska sera souvent associé, en Angleterre, au nom « blue beat », qui désigne donc une marque et non pas cette musique. Les disques sont le plus souvent pressés dans les usines américaines « Federal Records ».

En 1964, c'est l'explosion avec le premier hit international « My Boy Lolipop » de Millie sur le label Island de Blackwell. Tournant décisif aussi, la formation des Skatalites ; s'ensuivront des dizaines de reprises des vieilles chansons R&B version ska. La machine ska est désormais lancée et dévaste tout sur son passage. Les rude boys, jeunes voyous jamaïcains des ghettos tombés dans la délinquance et semant la terreur, adoptent un nouveau look caractéristique : treillis militaires, pantalons pattes d'éph, t-shirts décolorés, badges, cheveux longs...
En 1965, Duke Reid monte son studio d'enregistrement ; Martin Luther King, pasteur pacifiste, est accueilli à Kingston en grande pompe, ce qui redonne espoir aux habitants, mais n'empêche pas la misère et la violence de s'accroître. Les musiciens appellent souvent, dans leurs lyrics, les rude boys à se calmer et à s'assagir en arrêtant de semer la terreur à tous les coins de rue. La musique devient le seul moyen de se sortir du ghetto. Cette violence et cette hargne se ressentent dans le rythme de plus en plus frénétique du ska, qui redevient soudainement très lent, annonçant ainsi les prémices du rocksteady. On raconte que le rythme s'est mis à ralentir à cause des vagues de chaleur de l'été 1964, les musiciens ne pouvant plus soutenir le rythme effréné que réclamaient les danseurs.
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